Restructuration

autour de

Maurice DOUARD

 

Note d'intention

En marge de l'exposition rétrospective consacrée à l'art et l'oeuvre de Maurice Douard, et compte-tenu de son lien avec le spectacle, et de sa passion pour la représentation, nous avons souhaité créer, dans l'espace même de cette exposition, une performance unique, alliant peinture, spatialisation, musique, dimension scénique, et interrogations philosophiques, sociologiques, psychanalytiques, dans la conviction que c'est là, en plus d'une portée propre à l'art de Maurice, un moyen de communiquer, rendre accessible, une part de l'engagement inscrit dans ses peintures!

 

Lorsque j'ai pour la première fois découvert les peintures de Maurice Douard, présentées par Laura Le Corre à l'Espace Peugeot, en 2018, j'ai immédiatement pensé aux personnages des opéras français modernes et contemporains, au langage musical et scénique de cette période, comprise entre 1900 et aujourd'hui, à l'éclatement des caractères, dans le temps, dans l'émotion, dans l'espace, dans la relation à soi, la relation à l'autre, la relation à l'existence, comme contrepoint à cette oeuvre picturale, qui m'a immédiatement ému aux larmes, provoquant une forte réaction, à la fois physique et spirituelle!

 

Animé, comme Laura Le Corre, de la conviction que je me trouvais devant les toiles d'un des artistes majeurs de notre temps, j'ai souhaité partager avec lui ce que ses toiles m'évoquent. J'ai été impressionné, en présentant son travail à des partenaires, à des responsables, à des élus, de vivre en direct le même coup de foudre que j'ai moi-même éprouvé pour son travail, son univers, l'évidence immédiate de sa peinture, de ses personnages, de ses espaces.

 

L'idée nous est venue d'une performance associant son travail et le langage musical, pour exprimer la réalité à laquelle nos identités sont confrontées, dans nos sociétés modernes, et plus particulièrement dans les cités. Les restructurations visent à un mieux être, qui doit advenir dans l'avenir. Mais, pour les personnes prises dans ces processus, souvent très longs, à l'échelle humaine, la seule réalité est celle du passé, sur lequel elles ont construit leur identité, et éprouvent une réelle difficulté à articuler un présent, qui se vit dans le morcellement, la déstructuration, et la souffrance.

 

C'est pourquoi le message que nous devons tous leur apporter, artistes, porteurs de convictions et de transmissions, jusqu'aux ouvriers, en passant par les élus, décideurs de projets, est que nous visons à la réunification, à la cohérence des existences de chacun, pour répondre aux difficultés de ceux qui viennent d'horizons différents, dans notre société riche des couleurs variées, qui en composent le chromatisme et la rythmique, chevillées aux tensions et aux souffrances personnelles!

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Présentation

Restructuration. Voilà bien un mot d'actualité!

Dès qu'il est prononcé, on pense à des réalités concrètes... ouvrant un large éventail de situations, d'émotions, de ressentis!

A l'inverse du sens qu'il prend, quand une entreprise restructure, les projets d'urbanismes visent à transformer, rénover, réhabiliter. Les habitants, dont les repères s'enracinent dans le passé dans lequel ils ont tissé leur identité, passent par la confusion, la perte, avant de pouvoir retrouver le sens de leurs parcours. L'enjeu est de dépasser le prisme déclinant le temps, pour retrouver la dimension de l'être, et s'inscrire dans le progrès animant le projet de restructuration. Cela passe par cette étape de latence, de flottement, d'éparpillement, sensible dans la manière dont Maurice Douard peint les caractères personnels de ses figures humaines.

 

Si la ville dans laquelle on vit peut connaître une nouvelle période d'embellie, de vogue, de mode, après des travaux de rénovation, tant mieux! Mais... où vivre, pendant les travaux, qui détruisent les barres des cités, et transforment les quartiers industrieux, afin d'y construire le Paradis promis?

 

Est-ce là un des angles morts de nos sociétés judéo-chrétiennes, héritières de projections paradisiaques, autant qu'infernales (comme le suggérait Georges Steiner)? Est-ce que, même, le prix de l'advenue du Paradis, dans la forme des cités rénovées, serait l'enfer, traversé par les riverains, les citoyens, de ces cités, pendant les travaux de restructuration?

La cité, comme le citoyen, n'est plus ce qui a été, mais est ce qui sera, sans encore le savoir.

 

A la vérité, le mot "restructuration" fait aujourd'hui tellement peur, qu'il se peut qu'il ait induit une tendance secrète, inconsciente, à cultiver la déstructuration, l'éparpillement, le morcellement, la dispersion, le démembrement, comme contre-mesure protestataire!

 

C'est peut-être dans les expressions artistiques qu'on en trouve les indices les plus significatifs.

 

L'opéra contemporain est un lieu de représentation particulier, résonnant étrangement avec l'univers pictural de Maurice Douard. Ses personnages, depuis le Golaud de Debussy, jusqu'au Don Quichotte de Fénelon, s'opposent à leurs prédécesseurs, des courants plus anciens, par un morcellement de leur unité psychologique.

 

Le Nixon de John Adams, le Nekrotzar de Ligeti, le Macbeth d'Ernest Bloch, l'OEdipe d'Enesco, comme le Goya de Prodromides, sont des sujets soumis à l'éparpillement. En cela, ils font écho à une réalité de leurs contemporains. La reconstruction de leur environnement entraîne et conditionne la volatilisation de leurs repères. L'écriture orchestrale, autant que les lignes mélodiques et vocales, contribue à accentuer ce phénomène. Entre dispersion des lignes de force (perte de repères rythmiques et harmoniques), et phénomènes de cristallisation, se dit cette quête de l'identité, du moi devenu introuvable.

 

On retrouve cette sensation jusque dans l'univers musical qui entoure le Saint-François d'Assises de Messiaen, autour d'un personnage tout d'une pièce, qui est confronté à l'éparpillement, au morcellement rythmique, harmonique, sonore, comme un Saint-Jérôme soumis aux tentations.

 

Autour des personnages de Maurice Douard, la lumière, très nette, sévère, crue, parfois écrasante, des décors monumentaux, tend à se disperser, entraînant la dispersion de parties de leur être. L'identité tend à se perdre, là où l'être vivant devient lui-même.

 

Le propos de la performance est d'inviter chacun à retrouver le chemin de sa propre unité, en s'inscrivant pleinement dans le moment, dans le cadre urbain, dans la collectivité. Vivre la présence, au-delà des arrêts-sur-images du temps, pour se réconcilier avec son environnement, afin de découvrir le sens, et de ressentir son identité s'exprimer. C'est en quoi des personnages comme le Saint-François de Messaien suggèrent une possibilité de reconquête sur la tentation de la dispersion, et de l'abandon au regret.

 

Sur une installation de murs blancs, portant des œuvres à l'encre de Chine, et devant lesquels seront disposés le piano (noir) et des bancs (noirs également), le chanteur, vêtu en noir et blanc, intervenant depuis l'arrière des murs, comme si les personnages des encres de Chine s'exprimaient eux-mêmes, jusque devant, s'asseyant, se mêlant à eux, dialoguant avec eux, les lumières jouant avec son ombre, l'intégrant aux tableaux, proposera un contrepoint musical, comme une vibration émanant des encres, la musique se révélant comme respiration de celles-ci, les encres se révélant comme le sens, l'idéogramme de la musique.

 

Sur les espaces libres des murs, le peintre prend part à la performance, et, en noir et blanc, livre des traces abstraites.

 

Dans la quête de sa vérité, perdu entre son passé, révolu, et un futur incertain, le présent en mouvement n'est pour l'individu qu'une déconstruction, dans laquelle il peine à trouver la stabilité de son "Je". "Je est un autre", dont la fuite échappe, au gré de la reconstruction.

 

Il faut revenir une vivant: "Arrêtons de conjuguer, AGISSONS!"

Tels sont les mots du peintre.

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